Axe 1 - Ancrages et dynamiques comparés du politique
Coordination de l'axe 1 : Aurélia Mardon, Grégory Salle
Coordination du séminaire de l'axe 1 : Taïeb El Boujjoufi, Aurélia Mardon
Cet axe réunit des chercheures et chercheurs qui s’intéressent aux diverses expressions du rapport que les acteurs entretiennent avec la « question politique ».
On entend celle-ci tant comme questionnement des pouvoirs institués – qu’il s’agisse des pouvoirs privés ou des pouvoirs publics (et notamment ceux de l’État et de ses appareils idéologiques et coercitifs) – que comme formulation de politiques alternatives possibles, à distance de ces pouvoirs et de l’État : contre eux, hors d’eux, ou malgré eux. On y étudie donc tout autant les institutions politiques officielles ou consacrées que les conflits, luttes et médiations politiques, institutionnelles et militantes qui donnent forme et contenu à leur action, parfois les infléchissent ou les redéfinissent, voire les contrecarrent et s’en écartent.
La question politique est appréhendée à travers la manière dont elle s’inscrit dans des univers sociaux particuliers, localisés, relevant de domaines aussi divers que les espaces urbains, les dispositifs culturels, les institutions pénales, de santé ou de travail social, les entreprises, associations, syndicats, groupes professionnels ou mouvements sociaux. Cette inscription s’entend de deux manières : matérielle, à travers la nature de l’action publique et les modalités concrètes de la présence et de l’intervention de l’État dans les divers secteurs de la société, mais aussi comme production symbolique. Ces ancrages du politique sont les produits de rapports sociaux dans lesquels la capacité instituante de l’État est mise en jeu par les logiques des acteurs qui y font appel et s’y adossent ou, à l’inverse, s’y opposent, la manipulent, la contournent, voire la neutralisent.
Socialement situées, ces inscriptions plurielles sont tout autant dynamiques en ce qu’elles reposent sur une transformation des institutions et de la logique de l’intervention publique, aux effets extrêmement divers, ainsi que sur des rapports plus ou moins conflictuels entre les groupes sociaux animés d’aspirations hétérogènes, de logiques contradictoires, tout en étant dotés de ressources inégales. Elles sont dynamiques également dans la mesure où les logiques locales et les trajectoires nationales, qui procèdent d’une historicité propre, rencontrent, dans une conjoncture donnée, un état déterminé de rapports internationaux eux-mêmes en constante évolution. C’est dans l’articulation de ces dynamiques d’échelle (entre les niveaux local, national et international) que se redéfinit le sens même de la question politique, comme construction sociale symbolique et idéologique conflictuelle, instable, en chantier permanent, toujours particulière à chaque contexte : l’orientation des actions publiques et les modèles auxquels elles se réfèrent et qu’elles réagencent ; les périmètres d’intervention des États et des collectivités locales ; ce qui est du ressort de la puissance publique et ce qu’elle délègue ou abandonne à des intérêts privés (à commencer par les entreprises capitalistes, dont l’affrontement est prétendument « régulé » par le « marché »), des actions philanthropiques (associations, Ong, fondations), des solidarités familiales ou communautaires supposées, etc. Les définitions de la légitimité politique et de la citoyenneté en sont profondément modifiées, ainsi que les possibilités d’organisation et les modalités d’action collective de participation ou de contestation (dans la vie politique, mais aussi dans l’activité professionnelle par exemple), avec, selon les contextes nationaux, des ruptures brusques, souvent accompagnées de politiques de libéralisation, qui ont marqué les trois dernières décennies (fin des dictatures en Amérique latine, fin des partis uniques sur les trois-quarts du monde, sortie du socialisme ou du communisme « réels », fin de l’apartheid en Afrique du Sud, crises politiques ou économiques aiguës, etc.).
L’objectif de cet axe est de construire une approche comparée de ces ancrages sociaux et de ces dynamiques de la question politique, d’un double point de vue. D’une part, en confrontant des recherches réalisées dans des domaines divers, qui relèvent le plus souvent de traditions ou d’inspirations sociologiques distinctes. D’autre part, en abordant des contextes nationaux variés, les travaux entrepris sur la France ou d’autres pays européens étant mis en regard de situations observées sur d’autres continents, en Afrique, Asie ou Amérique latine.
En ce sens, il s’agit tout à la fois, et selon les divers contextes étudiés et la variété des approches au sein du laboratoire, d’études du politique et de la politique, abordés sous des angles aussi divers que :
- l’émergence de la politique : formes de pensée et de subjectivation,
- le rapport des citoyens à l’État et au/à la politique,
- le rapport des citoyens aux institutions (publiques ou privées) de développement, aussi bien dans les pays « développés », « émergents » que « sous-développés »,
- les pratiques d’opposition politique. Ces pratiques peuvent être de participation ou d’opposition franche ou bien de résistance passive ou d’évitement, même si, dans la réalité, la frontière entre ces divers types est poreuse et fluctuante. Ces oppositions peuvent être visibles, formelles, organisées et publiques : engagements, mobilisations et protestations collectives de groupes d’individus agrégés au nom d’une cause, d’une éthique, d’intérêts professionnels, corporatistes mais les dissensions peuvent également être moins visibles ou volontairement cachées, exprimées en « coulisses ». Il s’agit alors de prendre pour objet d’investigation les pratiques de résistances, le continent caché de « l’infrapolitique »,
- les formes gouvernementales et institutionnelles d’exercice du pouvoir politique. Elles impliquent de s’intéresser aux rationalités et aux technologies sociales (les « gouvernementalités » soit des manières de « conduire la conduite » d’autrui), aux processus de légitimation qui accompagnent et donnent corps à cet exercice, ainsi qu’aux enjeux et aux luttes de légitimité internes induites par la diversité des acteurs et des intérêts qui conduisent parfois à l’émergence de tensions au sein de ces différentes instances,
- les dynamiques des politiques publiques, qui connaissent des modifications convergentes dans l’ensemble des sociétés contemporaines, tout en maintenant leurs caractéristiques nationales d’une part, sectorielles de l’autre (par exemple : les travaux actuellement menés par certains membres de l’axe sur la comparaison de l’évolution des politiques éducatives, des politiques de santé mentale ou des politiques pénitentiaires en Europe),
- l’inscription spatiale et temporelle de l’action politique. Il apparaît en effet fondamental de retranscrire la spécificité spatiale des recherches, de façon circonscrite et détaillée, sans quoi la montée en généralité et la mise en perspective des différents terrains ne sembleraient pas pertinentes. Cet impératif tient également à la particularité des processus de légitimation politique, lesquels sont intimement liés à l’« enracinement » dans un lieu et à la mise en scène symbolique de l’affiliation. L’action politique s’articule et se décline autour de temporalités et d’ancrages variés, tant du côté des pouvoirs publics que des groupes sociaux, du niveau local au niveau inter- ou supranational.
L’ambition de cet axe est ainsi de nourrir des réflexions collectives sur plusieurs préoccupations partagées, au-delà des objets ou terrains de chacun, dont au moins les suivantes :
- le rôle de l’observation directe – participante ou non, déclarée ou non, proprement ethnographique ou plus intermittente – comme pratique d’enquête,
- l’importance du comparatisme ou des recherches menées dans différentes régions du monde. En effet, une grande partie des membres de cet axe conduit des recherches à la fois en France et dans d’autres pays, en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, Espagne, Portugal, ex-Yougoslavie) ou ailleurs sur d’autres continents (Afrique du Sud, Cameroun, Côte d’Ivoire, Algérie, Liban, Ouzbékistan, Chine, Népal, Philippines, Argentine, Bolivie, Brésil, Petites Antilles, Québec, États-Unis, Togo, etc.),
- les variations et imbrications d’échelles, et la volonté d’analyser les phénomènes étudiés à travers leurs inscriptions multiples, tant locales que nationales, européennes ou internationales, afin de pointer la singularité des situations et processus étudiés par les uns et les autres, mais aussi afin de mettre en lumière les éventuelles similitudes des processus qui travaillent les sociétés dans le cadre de la « globalisation » et leurs réponses différentielles à ce cadre général.
Mener des recherches sur des pays aussi diversifiés géographiquement et politiquement n’est pas sans conséquences sur la manière dont est défini le ou la politique. Les conceptualisations politiques étrangères « importées » nourrissent également les approches sur les terrains français.
Actualités
Membres de l'axe
- AGUERO Gala
- BAZIN Laurent
- CHANTRAINE Gilles
- CHERONNET Hélène
- DELARRE Sébastien
- DEMOLI Yoann
- DOJA Albert
- DURAND Corantin
- HAYEM Judith
- LOCH Dietmar
- MARCHAND Véronique
- MARDON Aurélia
- MENSITIERI Giulia
- NEGRONI Catherine
- PRYEN Stéphanie
- SAINSAULIEU Ivan
- SALLE Gregory
- ZEROULOU Zaïhia
- AIT BELLA Hamid
- AZERKANE Abdelaali
- CLER Ilona
- GEHANNO Frédéric
- GOUEKOU Ollibo
- KONIONO Laurent (Gnouma)
- LEGENDRE Lola
- LHOMMEAU Lev
- MICHEL Francky
- MINARD Marin
- PARKER Jemima
- ROCHET Silvia
- ROSILLETTE Noémie
- SANOGO Mamadou
- SCORNET Théo
- SEBAOUI Sarra
- SONOLET Estelle
- VIGOUR Mathieu
Déclinaisons thématiques
L’enrichissement mutuel attendu de la confrontation des conceptions du/de la politique découle, à partir de ce socle commun, de la multiplicité des préoccupations théoriques et empiriques. Cinq thèmes particulièrement fédérateurs – qui, d’ailleurs, s’articulent étroitement à l’offre de formation disponible à l’Institut de sociologie et d’anthropologie – sont retenus.
La production des espaces urbains sera interrogée du point de vue des logiques institutionnelles des politiques urbaines qui la forgent et du point de vue des pratiques habitantes. Sont ainsi questionnés les processus de résistance<s>s</s> ordinaires des habitants face aux politiques favorisant la gentrification des quartiers populaires, les formes d’auto-organisation dans un contexte de ségrégation socio-spatiale, les formes de citoyenneté ordinaire au sein des dispositifs de participation des habitants ou dans d’autres espaces publics, enfin, la place des inégalités environnementales dans ces espaces urbains et périurbains. Il s’agira également d’analyser les formes prises par le retour relatif des « utopies créatrices » par le biais d’expériences territorialisées, en interrogeant les formes de politisation qu’elles suscitent.
L’attention sera portée tout particulièrement sur les effets des politiques incitatives en matière d’habitat sur les classes populaires. De même, les ressources de l’accession à la propriété des classes populaires seront interrogées sous l’angle des pratiques de réhabilitation du logement, des stratégies de bailleurs privés et de leurs effets sur l’appropriation populaire de l’espace considérant ainsi la fonction de l’habitat comme à la fois domiciliaire et identitaire. On creusera également l’ambivalence du lien entre mobilité, capitalisme et démocratie. Le développement des mobilités spatiales, résidentielles et professionnelles permet une circulation du capital, des citoyens et des cultures tandis que le contrôle de la mobilité ou, à l’inverse, l’injonction à la mobilité résidentielle pour trouver un emploi ou pour rénover un quartier sont devenus des outils de domination politique de groupes sociaux subalternes.
Les politiques de la santé continueront d’occuper une place privilégiée dans l’axe. Une hypothèse macrosociologique concernant les politiques de santé est, sur fond d’un maintien, voire d’un accroissement des inégalités, celle d’un mouvement contradictoire de médicalisation (de plus en plus de comportements ordinaires peuvent donner lieu à nomination, classification, conseils, projets de rectification) et d’extension d’un marché du bien-être où se côtoient professionnels non médecins et profanes, régis par l’idée que les profanes peuvent et doivent développer une autonomie en matière de prise en charge de leur santé. Une tension similaire concerne la légitimation des savoirs, d’une part, de plus en plus soumis aux normes des sciences dures (médecine des preuves, essai randomisé), d’autre part, devant intégrer les savoirs « expérientiels » de groupes sociaux divers faisant reconnaitre leur différence. Les transformations du soin psychique, espace d’intervention volontaire sur le psychisme d’autrui, en sont un bon exemple : elles empruntent actuellement des formes plus hybrides et diversifiées que les traditionnelles « psychothérapies », sommées, à la fois, de prouver leur efficacité et leur acceptabilité sociale. L’e-santé mentale semble répondre à ces critères, ainsi que d’autres techniques comme la méditation de pleine conscience ou les pratiques artistiques.
Par ailleurs, les réformes de la santé produisent des économies d’échelle et des réorganisations qui impactent l’organisation des soins. Au plan méso-sociologique, l’axe met aussi la focale sur le repositionnement stratégique des acteurs face au développement de thèmes managériaux comme la transversalité, l’interdisciplinarité, la coopération ou le bénévolat, censés pallier le manque d’effectifs. A l’hôpital, des équipes mobiles psychiatriques, gériatriques ou en soins palliatifs ont constitué ainsi des tentatives timides de réorganisation, étudiées de concert au CLERSẺ et au CERIES. De micro-collectifs professionnels émergent aux urgences, tandis que des bénévoles contestent l’institution sanitaire au Sénégal. L’interdisciplinarité est également une injonction pour des programmes de recherche sanitaires dans le cadre desquels nos collègues SHS sont à la fois collaborateurs et observateurs.
Les usages politiques de la déviance, des conflits et du contrôle social resteront également une thématique structurante de l’axe, dorénavant autour de deux ensembles de problèmes d’une actualité brûlante : les questions dites de « radicalisation » d’une part, celles relatives à la « criminalité environnementale », d’autre part.
La notion de radicalisation est rapidement devenue, dès les années 2014-2015, un véritable lieu commun pour penser – et lutter contre – la violence politique. Elle a investi les discours médiatiques et politiques, et a fait l’objet de nombreux travaux académiques analysant les trajectoires individuelles d’entrées dans la violence politique. Son importante expansion, toutefois, ne doit pas masquer son caractère éminemment politique et les différents facteurs conjoncturels qui ont poussé à son adoption quasi unanime. En invitant à questionner tant les conditions d’émergence de la notion – et de son corollaire, celle de déradicalisation – que les profonds impacts qu’elle a eus au sein de certaines institutions, à l’instar de l’Administration Pénitentiaire, de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ou de l’Éducation Nationale, ces réflexions s’inscrivent pleinement au cœur de l’axe ADCP.
Nous porterons également notre attention sur ce qu’il est convenu d’appeler la criminalité environnementale. Ce domaine de recherche est aujourd’hui bien établi dans la sphère anglophone, à l’initiative d’un courant communément désigné sous le terme de « green criminology », dont l’émergence remonte au début des années 1990. En revanche, et contrairement à la justice environnementale qui a fait l’objet d’un travail d’importation-traduction, il est très peu présent dans les recherches en France hormis dans les contributions juridiques relatives au droit de l’environnement. Envisagé dans toutes ses dimensions (normes et sanctions ; auteurs et victimes ; pratiques et lieux, etc.), il permet pourtant de soulever des questions sociologiques générales et de s’interroger sur son caractère « politique », en différentes acceptions, tout en éclairant une zone d’ombre des travaux consacrés à la question écologique.
C’est dire que les recherches menées au sein de la thématique excèdent très largement les strictes questions pénales ou pénitentiaires. Elles recouvrent tout autant des modalités douces, diffuses, parfois insensibles de contrôle social et, plus largement encore, s’intéressent dans leur ensemble aux mécanismes matériels et symboliques de production des normes (normes dominantes, mais aussi minoritaires). Ce faisant, elles rejoignent d’emblée d’autres thématiques couvertes par l’axe global, telles que la sociologie de la santé (partage entre crime et folie, comparaison entre différentes institutions totales, politiques des drogues, etc.), la sociologie de la culture (régulation et/ou répression des pratiques sous-culturelles « déviantes » : squats alternatifs, graffitis vandales, etc.), ou la sociologie de la ville (ségrégation socio-spatiale, technologisation des dispositifs de contrôle, contrôle des migrations et des mobilités).
Comme nous l’avons signalé dans le bilan, les politiques des genres et des sexualités ont constitué une thématique qui a émergé au cours du précédent quadriennal. La période 2018-2022 sera l’occasion de renforcer les recherches dans ce domaine, et de multiplier les séminaires et les rencontres inter axes autour des questions de rapports sociaux de sexe. Sans présumer de l’évolution de ces rencontres inter axes et des synergies, ADCP se focalisera plus particulièrement sur la question des politiques des sexualités minoritaires.
L’organisation sociale des sexualités minoritaires est en effet travaillée depuis maintenant plusieurs décennies par deux processus conjoints et complémentaires. Politiques de l’égalité d’abord : contre l’hétéronormativité conjugale et reproductive, l’époque contemporaine est le théâtre d’une multiplication des revendications en faveur d’une déstigmatisation, dépathologisation, décriminalisation, et normalisation sociale de pratiques sexuelles diverses. Concernant les politiques de l’identité ensuite : ces revendications s’accompagnent d’une transformation des différentes communautés sexuelles elles-mêmes, que ce soit sous la forme d’innovations relatives (la communauté « asexuelle » ou « ace », la communauté « polyamoureuse », etc.), ou de reconfigurations conceptuelles et identitaires.
Dans ce cadre, l’axe ADCP s’intéressera à différentes modalités : comment s’articulent les volontés de constitution d’espaces propres et exclusifs (pratiques de non-mixité, création d’espaces « safe ») avec celles de se donner de la visibilité, d’être reconnus ? Comment caractériser les torts subis par les différentes communautés ? Faut-il considérer ces torts comme socialement homogènes au regard d’un ordre sexuel hétérosexiste, ou faut-il au contraire distinguer conceptuellement les formes de stigmatisation, de discrimination, et d’oppression selon chaque orientation sexuelle et chaque ensemble de pratiques ? Comment les revendications liées à l’identité (« être bi », « être “ace” ») s’articulent-elles à des revendications de reconnaissance de haines spécifiques (la « biphobie », l’ « acephobie », etc.) ?
Aujourd’hui, la question des migrations, au-delà des prises de position politiques officielles par les gouvernements, se pose comme un problème radical de discrimination entre différents traitements de l’humanité globale. Ce n’est pas seulement dans des pays de la péninsule arabique, de l’Afrique subsaharienne ou en Malaisie, pour prendre ces exemples, que se dessine depuis plus de vingt ans la promotion de nouvelles formes de travail bridé (voir Moulié Boutang). Il existe des tendances au retour de l’esclavage y compris dans les pays avancés, dans les ateliers clandestins ou les emplois domestiques. A Calais, en France, comme dans d’autres pays européens, des migrants sont vendus par des agences internationales aux multiples ramifications.
Les conditions de vie de migrants sans papiers, le travail même de migrants temporaires sans statut menacent ces derniers d’extradition ou de chute dans des conditions de vie bien plus dégradantes que celles vécues dans leur pays d’origine. Que ce soit aux États-Unis, en Europe occidentale ou dans la Chine moderne, la séparation entre deux ou plusieurs sortes “d’humanité”, autorise la distribution du travail entre des statuts bien différents et suivant des conceptions de la liberté infiniment élastiques. Aux États-Unis, il s’agit en particulier des Mexicains illégaux, mais ils ne sont pas les seuls. En Chine, il s’agit des ruraux illégalement installés dans les villes, et exploitables à merci. En Europe, le problème, certes ancien, du “travail au noir” et de la sous-traitance en cascade dans les chantiers de construction ou dans les différents domaines de la domesticité, de la maintenance et de la restauration est toujours d’actualité. Ces formes de ségrégation autorisent aussi la mobilisation de fractions de dominés contre d’autres, tuant dans l’œuf toute tentative de revendications unitaires. Elles s’enracinent dans une sédimentation multiséculaire : la traite négrière orientale puis occidentale a concentré pendant des siècles l’esclavage en direction des populations africaines subsahariennes, transmettant une idéologie raciste à la postérité et distillant la division du prolétariat entre noirs et blancs.
Tous ces thèmes font déjà l’objet de recherches sociologiques menées par les étudiants, les doctorants et les chercheurs de l’axe, sur des terrains divers. L’étude des migrations et des processus d’intégration prend aujourd’hui une tout autre dimension puisqu’elle renvoie de manière transversale aux quatre autres thématiques du projet de l’axe ADCP, présentées précédemment, à savoir la ville, la déviance, la santé et le genre. La question de la migration apparaît de nos jours comme une dimension particulièrement politique et politisée.
Dans cette perspective, l’axe ADCP interrogera la manière dont l’argument « migratoire » est convoqué par divers partis politiques, dans une perspective de comparaison européenne. Quels sont les divers débats politiques (politics) autour des politiques d’immigration et d’intégration en Europe (policy) où les vieux « modèles d’intégration » des Etats-nations (polity) ne correspondent plus à la différenciation socio-culturelle croissante de leurs populations et où les valeurs du fédéralisme supranationale de l’UE sont confrontées à la montée des nationalismes xénophobes ? L’attention sera portée notamment vers l’essor des partis nationalistes et populistes de droite, qui s’articulent à la présentation de nouvelles formes de conflictualités « ethniques » et/ou « culturelles ».