Axe 1- Ordres et désordres
Coordination de l'axe 1 : Gala Agüero et Corentin Durand
Coordination du séminaire de l'axe 1 : Gala Agüero, Corentin Durand et Lola Legendre
L’axe « Ordres et désordres » (OeD) vise à explorer la question politique dans la diversité de ses formes et de ses expressions.
À quoi tient – ou ne tient plus – une société ? Comment s’ordonne un ensemble relativement cohérent qui ne cesse pourtant d’être travaillé par des tensions, des contradictions, des débordements ? Comment une hétérogénéité irréductible est-elle agencée ou accommodée de manière à constituer quelque chose comme un « corps social » ? Formuler de telles questions c’est renouer avec un enjeu fondateur, puis central des sciences humaines et sociales, qui met en jeu le ou la politique, sans s’y réduire. Telle est l’ambition de cet axe, qui pivote autour du problème de l’ordre social.
L’intitulé « ordres et désordres » insiste sur les nombreuses prises qu’offre ce plan thématique commun et invite à se saisir de telle ou telle qualification de l’ordre – ordre social, moral, public, urbain, familial, légal, scolaire, sanitaire, sexué/genré, etc. – comme du désordre, depuis les écarts les plus bénins ou les incartades les plus involontaires jusqu’à la transgression assumée et la contestation organisée. En prenant volontairement des exemples divers, on peut penser aussi bien au freinage industriel qu’à la transition de genre, aux « émeutes urbaine » qu’aux scandales sanitaires, à l’illégalisme militant dans le domaine environnemental ou au nom de la cause animale qu’aux « révolutions symboliques » en matière artistique ou culturelle. Il s’agit de servir de trait d’union thématique aux membres de l’axe, tout restant suffisamment large pour regrouper des collègues travaillant sur des objets divers à partir de références variées. Une telle pluralité favorise la stimulation intellectuelle et maintient un horizon généraliste par-delà les spécialités de chacun.e. Il s’agira notamment de revisiter des concepts centraux des sciences sociales – comme domination, autorité, légitimité, hégémonie, idéologie ou discipline, parmi d’autres – à partir de nos terrains de recherche respectifs, tout en réfléchissant aux relations entre règles (juridiques), politiques (publiques) et usages (sociaux).
Plusieurs projets ou programmes de recherche peuvent être cités pour montrer la variété des travaux développés dans l’axe, comme le programme ECOS-Sud (2023-2025) qui s’intéresse aux régimes de justice sociale en France et au Chili, autour notamment des représentations sociales, de la santé publique et du syndicalisme, et qui soulève ainsi la question des rapports entre ordre social et justice sociale ; le projet « Voulez-vous danser avec moi ? » sur l’espace social des danses à deux, qui interroge la question de l’ordre genré et, plus largement, corporel ; le projet BeachAccess (2024-2026) soutenu par la FMSH, qui problématise, à partir de recherches menées au Brésil, en Californie et en France, la genèse et le développement d’un « ordre balnéaire » aujourd’hui sous pression ; le programme financé par l’IFAS et la MSH Paris Nord, au sujet des mines sudafricaines, qui soulève des enjeux relatifs à la tension entre légitimité et illégitimité ou entre représentations profanes et conceptions savantes, sur fond de mémoires contradictoires et concurrentielles ; ou encore le dispositif d’enquête de la DREES sur la mesure du nombre, l’état de santé et les conditions de vie de personnes handicapées ou en perte d’autonomie dans les établissements pénitentiaires.
L’axe réuni principalement des sociologues et des anthropologues, mais s’adresse aussi aux économistes : on parle couramment d’ordre productif, marchand ou monétaire, tandis que le désordre peut se manifester, par exemple, sous la forme d’une brusque déstabilisation des marchés financiers. Une « crise économique, un coup de bourse, une faillite même peuvent désorganiser beaucoup plus gravement le corps social qu’un homicide isolé », glissait incidemment Émile Durkheim dans De la division du travail social.
L’ambition de l’axe est de nourrir, au-delà des objets ou terrains de chacun·e, des réflexions méthodologiques transversales, parmi lesquelles :
- l’importance du comparatisme ou des recherches menées dans différentes régions du monde - une grande partie des membres de cet axe conduit des recherches à la fois en France et dans d’autres pays, en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, Espagne, Portugal, ex-Yougoslavie) ou ailleurs sur d’autres continents (Afrique du Sud, Cameroun, Côte d’Ivoire, Algérie, Liban, Ouzbékistan, Chine, Népal, Philippines, Argentine, Bolivie, Brésil, Petites Antilles, Québec, États-Unis, Togo, etc.) ;
- les variations et imbrications d’échelles, et la volonté d’analyser les phénomènes étudiés à travers leurs inscriptions multiples, tant locales que nationales, européennes ou internationales, afin de pointer la singularité des situations et processus étudiés par les uns et les autres, mais aussi afin de mettre en lumière les éventuelles similitudes des processus qui travaillent les sociétés dans le cadre de la « globalisation » et leurs réponses différentielles à ce cadre général ;
- le dialogue et l’articulation des méthodes qualitatives et quantitatives, sans réifier les frontières de ces deux ensembles mais au contraire en pensant la variété des manières de ré-assembler le partage quanti-quali autour de questions de recherche spécifiques ;
- le rôle de l’observation directe – participante ou non, proprement ethnographique ou plus intermittente – comme pratique d’enquête.
L’axe se décline autour de cinq thèmes particulièrement fédérateurs :
La production des espaces urbains est interrogée du point de vue des logiques institutionnelles des politiques urbaines qui la forgent et du point de vue des pratiques habitantes. Sont ainsi questionnés les résistances ordinaires des habitants face aux politiques favorisant la gentrification des quartiers populaires, les formes d’auto-organisation dans un contexte de ségrégation socio-spatiale, les formes de citoyenneté ordinaire au sein des dispositifs de participation des habitants ou dans d’autres espaces publics, enfin, la place des inégalités environnementales dans ces espaces urbains et périurbains. Il s’agit également d’analyser les formes prises par le retour relatif des « utopies créatrices » par le biais d’expériences territorialisées, en interrogeant les formes de politisation qu’elles suscitent.
L’attention est portée tout particulièrement sur les effets des politiques incitatives en matière d’habitat sur les classes populaires. De même, les ressources de l’accession à la propriété des classes populaires sont interrogées sous l’angle des pratiques de réhabilitation du logement, des stratégies de bailleurs privés et de leurs effets sur l’appropriation populaire de l’espace considérant ainsi la fonction de l’habitat comme à la fois domiciliaire et identitaire. On creuse également l’ambivalence du lien entre mobilité, capitalisme et démocratie. Le développement des mobilités spatiales, résidentielles et professionnelles permet une circulation du capital, des citoyens et des cultures tandis que le contrôle de la mobilité ou, à l’inverse, l’injonction à la mobilité résidentielle pour trouver un emploi ou pour rénover un quartier sont devenus des outils de domination politique de groupes sociaux subalternes.
Les politiques de la santé continuent d’occuper une place privilégiée dans l’axe. Une hypothèse macrosociologique concernant les politiques de santé est, sur fond d’un maintien, voire d’un accroissement des inégalités, celle d’un mouvement contradictoire de médicalisation (de plus en plus de comportements ordinaires peuvent donner lieu à nomination, classification, conseils, projets de rectification) et d’extension d’un marché du bien-être où se côtoient professionnels non médecins et profanes, régis par l’idée que ceux derniers peuvent et doivent développer une autonomie en matière de prise en charge de leur santé. Une tension similaire concerne la légitimation des savoirs, d’une part, de plus en plus soumis aux normes des sciences dures (médecine des preuves, essai randomisé), d’autre part, devant intégrer les savoirs « expérientiels » de groupes sociaux divers faisant reconnaître leur différence. Les transformations du soin psychique, espace d’intervention volontaire sur le psychisme d’autrui, en sont un bon exemple : elles empruntent actuellement des formes plus hybrides et diversifiées que les traditionnelles « psychothérapies », sommées, à la fois, de prouver leur efficacité et leur acceptabilité sociale. L’e-santé mentale semble répondre à ces critères, ainsi que d’autres techniques comme la méditation de pleine conscience ou les pratiques artistiques.
Par ailleurs, les réformes de la santé produisent des économies d’échelle et des réorganisations qui impactent l’organisation des soins. Au plan méso-sociologique, l’axe met aussi la focale sur le repositionnement stratégique des acteurs face au développement de thèmes managériaux comme la transversalité, l’interdisciplinarité, la coopération ou le bénévolat, censés pallier le manque d’effectifs. À l’hôpital, des équipes mobiles psychiatriques, gériatriques ou en soins palliatifs ont constitué ainsi des tentatives timides de réorganisation, étudiées de concert au CLERSẺ et au CERIES. De micro-collectifs professionnels émergent aux urgences, tandis que des bénévoles contestent l’institution sanitaire au Sénégal. L’interdisciplinarité est également une injonction pour des programmes de recherche sanitaires dans le cadre desquels nos collègues SHS sont à la fois collaborateurs et observateurs.
La participation des institutions juridiques et pénales à la réponse aux désordres et à la construction d’ordres politiques et sociaux est une thématique structurante de l’axe. Elle s’articule dorénavant autour de trois ensembles de problèmes d’une actualité brûlante : d’une part, l’émergence d’une nouvelle forme de pénalité que l’on peut qualifier d’illibérale ; d’une part, l’affirmation ambiguë d’une intervention publique visant la « criminalité environnementale » ; et, enfin, une exploration des effets du recours croissant à l’incarcération en documentant les expériences des personnes handicapées ou en perte d’autonomie dans les établissements pénitentiaires, et en analysant ce que l’expérience carcérale fait au trajectoires biographiques et relationnelles des sortant·e·s de prison.
C’est dire que les recherches menées au sein de la thématique excèdent très largement les strictes questions pénales ou pénitentiaires. Elles recouvrent tout autant des modalités douces, diffuses, parfois insensibles de contrôle social et, plus largement encore, s’intéressent dans leur ensemble aux mécanismes matériels et symboliques de production des normes (normes dominantes, mais aussi minoritaires). Ce faisant, elles rejoignent d’emblée d’autres thématiques couvertes par l’axe global, telles que la sociologie de la santé (partage entre crime et folie, comparaison entre différentes institutions totales, politiques des drogues, etc.), la sociologie de la culture (régulation et/ou répression des pratiques sous-culturelles « déviantes » : squats alternatifs, graffitis vandales, etc.), la sociologie de la ville (ségrégation socio-spatiale, relations de voisinage, technologisation des dispositifs de contrôle, contrôle des migrations et des mobilités), ou la sociologie politique (citoyenneté, participation, répertoires d’action).
Les politiques des genres et des sexualités sont désormais des thèmes importants de l’axe, avec un focale sur la question des politiques des sexualités minoritaires. L’organisation sociale des sexualités minoritaires est en effet travaillée depuis maintenant plusieurs décennies par deux processus conjoints et complémentaires. Politiques de l’égalité d’abord : contre l’hétéronormativité conjugale et reproductive, l’époque contemporaine est le théâtre d’une multiplication des revendications en faveur d’une déstigmatisation, dépathologisation, décriminalisation, et normalisation sociale de pratiques sexuelles diverses. Politiques de l’identité ensuite : ces revendications s’accompagnent d’une transformation des différentes communautés sexuelles elles-mêmes, que ce soit sous la forme d’innovations relatives (la communauté « asexuelle » ou « ace », la communauté « polyamoureuse », etc.), ou de reconfigurations conceptuelles et identitaires.
Comment s’articulent les volontés de constitution d’espaces propres et exclusifs (pratiques de non-mixité, création d’espaces « safe ») avec celles de se donner de la visibilité, d’être reconnus ? Comment caractériser les torts subis par les différentes communautés ? Faut-il considérer ces torts comme socialement homogènes au regard d’un ordre sexuel hétérosexiste, ou faut-il au contraire distinguer conceptuellement les formes de stigmatisation, de discrimination, et d’oppression selon chaque orientation sexuelle et chaque ensemble de pratiques ? Comment les revendications liées à l’identité (« être bi », « être “ace” ») s’articulent-elles à des revendications de reconnaissance de haines spécifiques (la « biphobie », l’ « acephobie », etc.) ?
La question des migrations, au-delà des prises de position politiques officielles par les gouvernements, se pose comme un problème radical de discrimination entre différents traitements de l’humanité globale. L’étude des migrations et des processus d’intégration renvoie de manière transversale aux quatre autres thématiques de l’axe, présentées précédemment, à savoir la ville, la déviance, la santé et le genre.
La question de la migration apparaît de nos jours comme une dimension particulièrement politique et politisée. Dans cette perspective, la thématique interroge la manière dont l’argument « migratoire » est convoqué par divers partis politiques, dans une perspective de comparaison européenne. Quels sont les divers débats politiques (politics) autour des politiques d’immigration et d’intégration en Europe (policy) où les vieux « modèles d’intégration » des États-nations (polity) ne correspondent plus à la différenciation socio-culturelle croissante de leurs populations et où les valeurs du fédéralisme supranationale de l’UE sont confrontées à la montée des nationalismes xénophobes ? L’attention sera portée notamment vers l’essor des partis nationalistes et populistes de droite, qui s’articulent à la présentation de nouvelles formes de conflictualités « ethniques » et/ou « culturelles ».
Membres de l'axe
- AGUERO Gala
- BAZIN Laurent
- CHANTRAINE Gilles
- CHERONNET Hélène
- DELARRE Sébastien
- DEMOLI Yoann
- DOJA Albert
- DURAND Corantin
- HAYEM Judith
- LOCH Dietmar
- MARCHAND Véronique
- MARDON Aurélia
- MENSITIERI Giulia
- NEGRONI Catherine
- PRYEN Stéphanie
- SAINSAULIEU Ivan
- SALLE Gregory
- ZEROULOU Zaïhia
- AIT BELLA Hamid
- AZERKANE Abdelaali
- CLER Ilona
- GEHANNO Frédéric
- GOUEKOU Ollibo
- KONIONO Laurent (Gnouma)
- LEGENDRE Lola
- LHOMMEAU Lev
- MICHEL Francky
- MINARD Marin
- PARKER Jemima
- ROCHET Silvia
- ROSILLETTE Noémie
- SANOGO Mamadou
- SCORNET Théo
- SEBAOUI Sarra
- SONOLET Estelle
- VIGOUR Mathieu