Soutenance de thèse de Déborah Ridel

Soutenance de thèse
Bât. SH2, salle des conférences
La violence aux urgences. une ethnographie du travail soignant La violence aux urgences. une ethnographie du travail soignant

Comment se caractérise la violence aux urgences ? Visant à déconstruire la vision unilatérale, asymétrique, spectaculaire et sécuritaire véhiculée par les discours politico-médiatiques, cette thèse donne à voir une violence polysémique et symétrique, dont l’expérience est partagée par les soignant∙e∙s et les patient∙e∙s. Inscrite dans une perspective interactionniste, elle repose sur une enquête ethnographique menée de 2016 à 2018 dans deux services d’urgence d’hôpitaux publics non universitaires de deux villes de taille moyenne du nord de la France. La recherche examine d’abord l’organisation du travail aux urgences de jour et de nuit, de l’accueil à l’hospitalisation en passant par le déchocage et le renvoi à domicile. Les multiples formes de délégation du « sale boulot » révèlent une tendance à la démédicalisation de ces services, symptomatique d’une progressive spécialisation autour de la régulation de la violence dite « sociale ». Le décalage entre la fonction manifeste des urgences, qui consiste à « sauver des vies », et leur fonction latente de prise en charge de cette violence « sociale » participe alors à produire une violence institutionnelle. Ainsi, les urgences sont une institution qui est à la fois terrain de l’expression de la violence, et productrice de violence.

Après avoir décrit les formes de violence ordinaire aux urgences, la thèse examine la façon dont l’institution hospitalière se saisit de cette question, mais aussi dont les soignant∙e∙s y font face de manière individuelle et collective. La stratégie institutionnelle de sécurisation des lieux se concrétise par la fermeture des portes des urgences aux accompagnateurs et accompagnatrices, et par la présence accrue de personnels de sécurité. Ces dispositifs réinterrogent l’organisation du travail. Ils nécessitent souvent une organisation informelle de l’équipe soignante qui se traduit par du « bricolage » et par le floutage des frontières professionnelles. Ces arrangements interrogent le sens du travail et de la professionnalité des soignant∙e∙s : ils impliquent des repositionnements individuels et collectifs et des questionnements déontologiques sur la mission d’hospitalité, d’accessibilité et de service public du collectif soignant craignant de plus en plus de devenir « violent malgré lui ».

L’analyse des conditions de production de la violence permise par l’ethnographie du travail soignant montre ensuite que les urgences sont au croisement de divers rapports sociaux de domination. Cela produit un ethos viriliste propre aux urgences, à mi-chemin entre l’ethos chirurgical techniciste qui sauve des vies, d’une part, et l’ethos sécuritaire de contrôle social des forces de l’ordre, d’autre part, que nous proposons de nommer l’ethos oxyologique.

Finalement, ouvrant la réflexion aux logiques de guichet et à la sociologie des groupes professionnels, ainsi qu’aux formes inégalitaires d’accès aux soins d’urgence, cette thèse contribue à la sociologie du travail autant qu’elle éclaire l’organisation du système de santé en France.

 

Le jury est composé de :

  • Anne-Marie Arborio, Maitresse de Conférence, Université Aix-Marseille – Examinatrice
  • Marc Loriol, Directeur de recherche, CNRS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – Examinateur
  • Anne Paillet, Professeure à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – Rapportrice
  • Ivan Sainsaulieu, Professeur à l’Université de Lille – Directeur de thèse
  • Florent Schepens, Professeur à l’Université Bourgogne-Franche-Comté - Examinateur
  • Alexis Spire, Directeur de recherche, CNRS, EHESS – Rapporteur

 


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